L'organisation communale

Retour au sommaire

Les privilèges de la bourgeoisie

Leernes

Comme dans la plupart des communautés de la principauté de Liège, les bourgeois et masuyers de Leernes se réunissaient certains jours de l'année, notamment le jour des Rois et à la Saint-Remy, pour s'occuper de l'administration des intérêts locaux. L'assistance à ces réunions, qu'on désignait sous le nom de plaids généraux, était obligatoire, sauf empêchement légitime. On y réglait, à la pluralité des suffrages, les questions relatives aux impôts, aux emprunts, aux ventes et locations des biens communaux, à l'élection des deux bourgmestres-régents et toutes celles touchant le bien commun.

Les résolutions, prises après délibération et qui portaient le nom de recès, étaient enregistrées par la cour de justice, afin de leur donner la valeur légale.

Les bourgmestres avaient la direction des affaires de la communauté et des deniers publics. Ils devaient communiquer les affaires importantes aux habitants assemblés aux plaids généraux.

lis avaient la connaissance et l'exécution des moyens publics de la communauté, de l'acquisition des droits de bourgeoisie et des choses de la police, à l'exclusion de tous autres juges. Ils devaient assurer l'ordre dans les assem­blées des bourgeois, veiller à la sûreté des habitants, empêcher l'introduction de bêtes malsaines et tenir la main à l’observation des règlements relatifs à la propreté et à l'embellissement du village.

Les bourgeois et masuyers de Leernes et Wespes jouis­saient de certains droits et privilèges qui leur étaient garantis par l'usage et par des chartes.

C’est ainsi que si l'abbé de Lobbes et le seigneur de Fontaine, avoué, avaient les chênes et les hêtres de tous les bois situés sur le jugement, les bourgeois et les masuyers qui, en effectuant des voiturages dans ces bois, brisaient les essieux ou autres parties de leurs chariots, pouvaient y prendre ce qui leur était nécessaire pour les réparer.

L'abbé de Lobbes et le seigneur de Fontaine pouvaient et devaient vendre chaque année, de commun accord, le taillis et la futaie de dix bonniers des bois de Leernes en suivant l'ordre des coupes.

L'acquéreur devait commencer à tailler à l'un des bouts de la coupe et abattre les chênes et les hêtres, tout en avan­çant; quant aux bourgeois et masuyers, ils pouvaient « tailler le mort-bois (Mort-bois, broussailles, ronces, épines, bruyères, genêts, troènes, et autres buis blancs qui ne peuvent servit aux ouvrages) dans cette coupe, à l'encontre de l'acquéreur, en commençant où il leur plaisoit, mais en suivant sans laisser d'intervalle ».

Les bourgeois et masuyers pouvaient aussi « tailler » le mort-bois et faire pâturer leurs bêtes - c'est-à-dire prendre leurs aisements -, dans tous les autres bois de Leernes et Wespes ayant plus de sept ans.

Ils avaient le droit de prendre l'herbe à la main ou de la couper avec la faucille, sans toucher au bois, respectivement dans les tailles d'un an et de trois ans ; dans celles de cinq ans, ils étaient autorisés à mettre leurs chevaux, mais nulle bête, sauf les chevaux, ne pouvait pâturer dans les coupes de moins de sept ans.

Quand il y avait « paisson (pâturage dans les bois)» dans les bois, les bourgeois et les masuyers pouvaient y mettre chacun un porc, à charge de payer, pour un mâle, deux vieux lovingnois et pour une femelle, quatre vieux lovingnois. Et dans le cas où un bourgeois ou masuyer, une bourgeoise ou masuyère n'avait pas de porc, il lui était loisible de donner ou de vendre son droit à un habitant de la communauté. Lorsque les porcs se trouvaient en bon état d'engraissement, on devait les con­duire, au jour fixé, à la maison de la Forest, où chaque bourgeois ou masuyer payait, pour chacun, à l'abbé de Lobbes ou à son commis, la redevance indiquée plus haut. Si l'on jugeait qu'il y avait encore moyen de pâturer dans les bois, après ce jour, chacun pouvait y envoyer autant de porcs qu'il voulait, sans rien payer.

Les bourgeois et les masuyers habitant Leernes et Wespes, ainsi que les afforains (propriétaires de fonds, qui ne demeuraient pas sur le jugement), pouvaient prendre au bois des pommiers, poiriers, néfliers, cerisiers et toutes autres essences, excepté les chênes et les hêtres, pour les replanter sur leur terrain situé dans le jugement, mais non ailleurs. De même, les bois provenant des aisements ne pouvaient être transportés ou vendus hors du jugement, mais devaient y être consommés ou utilisés, soit par ceux qui les avaient coupés, soit par d'autres qui les avaient achetés.

Pour l'exercice de ces droits, les bourgeois et masuyers demeurant au jugement de Leernes, étaient tenus de payer chaque année, à l'abbé de Lobbes, au jour Saint-Etienne, une poule ou la valeur à déterminer par les échevins.

Les bourgeois et masuyers de Leernes et Wespes, demeu­rant au jugement, de même que ceux habitant Fontaine, avaient leurs aisements, à leur volonté, dans les raspes de Baillieusart, de Boucheronsart, de Henricamp, du Périsiaul ainsi que sur le pâturage des Meirs, moyennant une poule 011 sa valeur à fixer par les échevins, à payer chaque année, le jour Saint-Etienne, à l'abbé de Lobbes, sans que celui-ci pût exiger autre chose.

La Falizote, située entre le Luch et Morignez, le Lus, le petit Lus, le Markais et les Marlières étaient warissais et aisements des bourgeois et masuyers de Leernes et Wespes.

Il était facultatif à l'abbé de Lobbes d'établir dans le juge­ment et seigneurie de Leernes, un moulin banal auquel les bourgeois et masuyers auraient été obligés d'aller moudre. Ceux-ci, par contre, avaient leurs aisements sur La Plaigne, à Leernes, ainsi que sur la Joncquière et Le Monchiau à Wespes.

Les bourgeois et masuyers de Leernes et Wespes pouvaient pêcher de toutes manières, sans harnas gisants trois jours par semaine jusqu'au milieu de la Sambre, depuis la limite du jugement, vers Landelies, jusqu'au wez à Hourbes, mais il était défendu de transporter ou de vendre hors du juge­ment les poissons pris. Les limites de cette pêche sont indiquées dans une déclaration de 1251, insérée dans le cartulaire de l'abbaye d’Alne.

En 1678, la communauté de Leernes ayant décidé de vendre la coupe de quelques bonniers de bois de raspe, Jean-Charles de Hellin comparut le 1er décembre de cette année, devant la cour et justice, et représenta que cette vente ne pouvait avoir lieu sans son consentement et sans préjudice des droits lui acquis en sa qualité d'avoué, protestant contre les bourgmestres et la communauté, de tous dom­mages et intérêts, ainsi que de la nullité de cette vente.

Les maîtres de ville, présents, et partie-faisant pour la communauté, répliquèrent que la vente qui devait avoir lieu ce jour avait été résolue et arrêtée par la communauté assemblée aux plaids généraux de la Saint-Remy, après avoir été autorisée par l'abbé de Lobbes, seigneur foncier de Leernes. Ils protestèrent « de nullité de la prétendue protes­tation de l'avoué, déniant qu'ils étoient obligés d'avoir sa permission autrement que comme bourgeois du lieu, laquelle il auroit pu refuser Si, comme tous les autres, il s'étoit trouvé aux plaids généraux ». Ils dénièrent, de plus, que la communauté avait autrefois demandé telle permission à l'avoué ou à ses prédécesseurs, pour semblable vente de raspe. Ils désavouèrent, en outre, les demandes qui avaient pu lui être faites par certains particuliers de la communauté, non commissionnés à cet effet, ajoutant qu'il n'avait pas, à ce sujet, plus de droit que tout autre bourgeois, et protestant de tous dommages et intérêts qui pourraient résulter de son opposition.

La vente annoncée ayant eu lieu le 1er décembre, nonobs­tant sa protestation, l'avoué comparut de nouveau devant la cour et justice, le 19 du même mois ; il déclara qu'en vertu des pouvoirs que lui conférait sa qualité d'avoué, il avait retenu les portions vendues et à vendre, avec promesse d'accomplir les conditions de la criée, et nanti en argent le prix de vente, selon la coutume, requérant la mise en garde de loi de sa déclaration et d'en avoir une copie authentique, pour s'en servir au besoin.

Des abus et des contestations, s'étant produits au sujet du droit de bourgeoisie, la communauté de Leernes fit dresser en 1758, un règlement déterminant les conditions voulues pour acquérir ce droit.

Aux termes de ce règlement, qui fut approuvé par l'or­donnance du 22 juillet 1758 du prince-évêque Jean-Théodore, tous les manants et habitants de Leernes-Wespes, y domiciliés et y résidant à cette époque, originaires ou non de ces localités, devaient jouir, selon l'usage, du droit de bourgeoisie et de tous les privilèges attachés à cette qualité, tant au sujet du partage des bois et des glandées que des autres revenus, aussi longtemps qu'ils conserveraient leur domicile dans la communauté.

Celui qui transférait son domicile dans une autre com­mune, était déchu, ipso facto, de son droit de bourgeoisie. S'il revenait fixer son domicile à Leernes et Wespes, il pouvait être admis de nouveau à la bourgeoisie en remplissant les formalités voulues ; toutefois, s'il était originaire de la communauté, il rentrait gratuitement dans tous ses droits.

Les enfants de bourgeois, nés dans une localité autre que Leernes, où leurs parents avaient transféré leur domicile, ne pouvaient jouir du droit de bourgeoisie sans l'avoir acquis, sauf cependant ceux qui étaient nés accidentellement hors de la communauté, d'une mère reconnue bourgeoise.

Les filles de bourgeois jouissaient des mêmes droits que les garçons et communiquaient ce droit à leurs maris, bien qu'ils fussent étrangers, et aux enfants nés de leur mariage, dans la communauté. Mais si le conjoint, bourgeois ou bourgeoise, venait à mourir, le survivant ne continuait de jouir du droit de bourgeoisie qu'il avait acquis par son mariage, qu'aussi longtemps qu'il restait veuf; le remariage avec un non-bourgeois ou une non-bourgeoise, entraînait la déchéance du droit de bourgeoisie et les enfants du second lit n'y avaient aucun droit, à moins qu'ils n'en fissent l'ac­quisition.

Les enfants de père et de mère non-bourgeois, bien que nés à Leernes, n'étaient pas bourgeois, s'ils n'avaient acquis le droit de bourgeoisie.

Les bourgeois qui vivaient en commun, usant d'un même feu et d'un même pain, ainsi que les orphelins. vivant en commun ou même séparément, étaient réputés comme ne faisant qu'un seul ménage et une même personne, au sujet des droits attachés à la bourgeoisie.

Si l'un des orphelins, majeur ou marié, venait à se séparer et à tenir ménage à part, il entrait dans la pleine jouissance de tous ses droits ; quant aux autres frères et sœurs, ils continuaient de jouir ensemble des prérogatives attachées à la bourgeoisie.

Les manants non-bourgeois, ne pouvaient s'ingérer dans l'administration des biens et des droits de la communauté.

Ceux qui voulaient acquérir le droit de bourgeoisie, devaient préalablement se conformer aux mandements généraux et se faire agréer, tant par le seigneur du lieu que par la communauté assemblée, conformément au mandement du 31 mars 1734, du prince-évêque ; ils devaient, de plus, payer pour droits, quarante florins de Brabant à la caisse de la communauté, outre un écu à chacun des bourg­mestres-régents, et prêter serment d'être fidèles au prince, soumis à leur seigneur, et de soutenir les intérêts de la communauté.

Ceux qui étant nés dans la communauté de parents qui y avaient leur domicile fixe, mais qui avaient été déchus de leur droit de bourgeoisie, pour cause de changement de domicile, venaient y résider de nouveau, étaient admis à la bourgeoisie, moyennant l'accomplissement des conditions imposées aux étrangers, et cette admission ne pouvait leur être refusée, sans cause légitime.

Les fermiers habitant la cense de la Forêt, appartenant à l'abbaye de Lobbes, et le château de la Jonchière appartenant à la baronne de Méan de Pailhe, haute-avouée de Leernes, jouissaient des droits attachés à la bourgeoisie. Toutefois, si ces fermiers n'avaient pas acquis le droit de bourgeoisie, leurs enfants n'étaient admis à la bourgeoisie qu'en en faisant l'acquisition. Et comme ce droit était censé appartenir à ces deux fermes plutôt qu'aux occupants, les fermiers le perdaient, à l'expiration de leur bail.

Non seulement les étrangers n'étaient admis au nombre des bourgeois que moyennant l'accomplissement des forma­lités mentionnées dans le mandement de 1758, qui vient d'être analysé, mais nul ne pouvait s'établir à Leernes, de même que dans les autres paroisses du pays de Liège, sans produire au curé un certificat de religion, de bonne vie et mœurs, et des lettres de mariage, s'il était accompagné d'une femme. Le curé faisait faire une profession de foi par l'arri­vant et, en cas de refus, il le dénonçait aux supérieurs. Les maïeur et échevins devaient faire sortir de la communauté ceux qui ne s'acquittaient pas des obligations ci-dessus, ou qui refusaient de fournir une caution de 50 écus « pour être reçus à habitation » conformément au mandement du 20 mars 1734 du prince-évêque.

Pour se conformer à cette prescription, Joseph Martin d'Anderlues, comparut le 6 août 1771, par-devant la cour de Leernes et déclara donner en garantie, à titre de caution, pour que son beau-fils Louis Sadin fut reçu à habitation au village de Leernes, environ trois hectares de terres labou­rables, situées à Gozée et Marbais.

La perception des revenus et des impositions de la com­munauté était mise en adjudication et confiée à ceux qui s'offraient à l'effectuer au prix le moins élevé. Les comptes se rendaient chaque année par les collecteurs, aux bailli, maïeur, échevins, maîtres de ville et communauté, assem­blés aux plaids généraux.

On conserve au secrétariat communal, plusieurs comptes de tailles et d'impositions diverses, relatifs aux années 1651 et suivante.

Le compte de 1651, rendu par Jean Carpen, porte en recettes

taille collectée par Jourdain 15 florins, 14 patards ; coupe de bois 100 florins, 3 patards ; amendes pour des bestiaux trouvés dans les bois 4 florins, 3 patards. Ensemble 119 florins, 17 patards.

Parmi les dépenses figurant à ce compte, se trouve un paiement de 12 florins au maïeur, pour voyage à Liège, au sujet des affaires de la communauté.

L'impôt dit de l'oeil du moulin, produisit en 1713, une somme de 390 florins 15 patards.

Un compte de cette année mentionne en dépenses, pour bière aux bourgeois le jour de la remise des comptes, 4 florins 10 patards et la même somme, le jour de la vente des coupes de bois.

Les possesseurs de certaines prairies ne pouvaient jouir que de la première coupe d'herbes, les regains appartenant à la communauté.

Pour se soustraire à cette servitude, les intéressés rache­taient le droit de disposer des regains. D'un acte du 16 mai 1780, déjà cité, il résulte que les bourgmestres-régents remirent à Nicolas Marcq, pour 99 ans, moyennant le prix annuel de 4 florins 10 patards Brabant, du cri de Liège, les regains que la communauté avait le droit de couper après l'enlèvement de la première dépouille, dans la partie de la grande prairie, dite le « pachy du Gaux », appartenant en propriété au dit Nicolas Marcq, fermier du château de la Joncquière et bailli du haut-avoué de Leernes, partie séparée par deux bornes tenant à la prairie de la cense du Gaux.

On voit encore que le 5 octobre 1780, Jacques-Philippe Mahieu, reprit à stuit, (à bail) moyennant cinq florins Brabant-Liège par an, les regains de ses prairies de Pechant.

Aujourd'hui, la commune de Leernes possède, entre autres, le bois de Leernes contenant 50 hectares 69 ares 80 centiares et le bois Navez contenant 15 hectares 32 ares 50 centiares.

Retour au sommaire